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Jorge Amado
 
 
 
 
 
 

 
 
L'humour, cela ne s'acquiert qu'avec le temps, avec l'âge. Pour ma part, ce n'est que lorsque j'ai été près de mes quarante ans, c'est-à-dire que j'avais déjà vécu la moitié du temps de vie que j'ai vécu jusqu'ici, que l'humour a fait son apparition. Il s'est mis à exister dans mon oeuvre et à être utilisé comme une arme, la plus efficace de toutes, pour dénoncer le présent et défendre les intérêts du peuple, une constante de tous mes livres...
 
Jorge Amado naît en 1912 à Ferradas, dans une plantation de cacao du Sergipe, au sud de la province brésilienne de Bahia, "terre violente" que les planteurs se disputent arme au poing.
 
Les Jésuites de Bahia, chez qui il entre en internat à dix ans, voient en lui une vocation de futur novice. Trois ans plus tard, ils disent une messe d'action de grâces lorsqu'il s'enfuit après s'être proclamé athée et bolcheviste.
 
On le retrouve, deux ans après, travaillant dans un journal, puis à Rio de Janeiro où il étudie le droit.
 
C'est en 1931, après l'arrivée au pouvoir du dictateur Getulio Vargas, que Jorge Amado, journaliste débutant, publie son premier roman, Le Pays du Carnaval. Il a dix-neuf ans. Il refusera jusqu'au début des années 90 que soit traduit O País do Carnaval. Sans doute parce qu'ensuite, tout au long de son existence, il refusera le scepticisme condescendant qui caractérise Paulo Rigger, personnage principal du livre: "Tout le pessimisme qui transparaît dans ce roman est complètement artificiel. C'est une attitude naïvement littéraire."
 
C'est la même année qu'il se met à militer très activement au Parti Communiste, alors interdit au Brésil. Sa vie, dès lors, n'est qu'une suite d'exils, d'errances et de retours. Emprisonné une douzaine de fois, ses livres brûlés et interdits, contraint de s'exiler en Argentine en 1941, puis de retour à Bahia en 1943 lorsque le Brésil se range aux côtés des Alliés contre l'Axe, élu député communiste en 1945, de nouveau contraint de s'exiler en 1948 lorsque le Parti Communiste est ré-interdit, réfugié en France, expulsé de France et interdit de séjour pendant 16 ans, militant itinérant dans les démocraties populaires durant la guerre froide, revenu au Brésil après avoir reçu le prix Staline...
 
Il ne faut donc pas s'étonner que ses premiers livres reflètent son engagement; Cacao, Suor, qui décrivent la misère et l'oppression des classes populaires brésiliennes. Pourtant à partir de Bahia de Tous les Saints (1935) et de Mar Morto (1936), le souffle épique l'emporte sur l'aspect militant, sans pourtant le diminuer mais en échappant au communisme romantique des écrits de jeunesse qui teintait quelque peu ses personnages de superficialité.
 
C'est 1954 qui marque le véritable tournant: il décide de s'éloigner du parti pour écrire Gabriela, girofle et cannelle et n'être enfin plus qu'un obà de Bahia, dignitaire du candomblé dont il ne dévoilera jamais que des bribes, devenir finalement, comme il se décrit lui-même «l'anti-docteur par excellence; l'anti-érudit, trouvère populaire, écrivaillon de feuilletons de colportage, intrus dans la cité des lettres, un étranger dans les raouts de l'intelligentsia». Il chantera désormais Bahia, les fêtes chez les amis, les chansons de Vinicius de Moraes, la cuisine afro-bahianaise à l'huile de palme et au lait de coco, la cachaça, la vatapà et les moquecas dont les noms sont déjà des voyages, et les femmes, toutes les femmes; professionnelles, occasionnelles, «dames putes», filles de famille ou patriotes qui se donnent gracieusement aux anti-fascistes et que, dans ses «Navigations de cabotage», il appelle toutes d'un seul nom, Maria: «Maria chacune, toutes, passagères embarquées aux escales, ombres fugaces sur les quais du port, de port en port, ronde du vieux marin».
 
Cet "anti-docteur" a pourtant reçu tous les prix imaginables, sauf le Nobel. Il est le romancier le plus célèbre de et dans son pays, traduit dans plus de quarante langues, et avec quelques footballeurs, le Brésilien le plus connu à l'étranger, sans doute, et c'est le paradoxe, grâce aux dictatures qui l'ont contraint à vivre si longtemps en exil. Immensément populaire au Brésil, symbole du syncrétisme brésilien né de la nécessité où se sont trouvés les Noirs, pour pouvoir conserver leurs dieux, de les faire fusionner avec la religion catholique, véritable légende vivante (pour son quatre-vingtième anniversaire, des foules s'étaient massées place du Pelhourino, à Bahia, pour un concert d'hommage et d'amitié donné par Gilberto Gil, Maria Bethania, Caetana Veloso), Jorge Amado s'obstine pourtant à rester "l'intrus dans la cité des lettres": «Je ne veux pas reposer en paix, je ne prends pas congé, je dis à bientôt, mes amis. L'heure n'est pas encore venue de reposer sous les fleurs et les discours; je sors vers le frémissement de la rue, Boris le rouge m'accompagne. Merci pour tout, je vais de l'avant, je vais me divertir, ashé.»
 
 
 
 

 
1931 - Le pays du carnaval
1933 - Cacao
1934 - Suor
1935 - Bahia de tous les saints
1936 - Mar morto
1937 - Capitaines des sables
1941 - Le bateau négrier
1942 - Le chevalier de l'espérance
1942 - Terre violente
1944 - La terre aux fruits d'or
1945 - L'invitation à Bahia
1946 - Les chemins de la faim
1947 - O amor do soldado (pièce de théâtre)
1954 - Les souterrains de la liberté
1958 - Gabriela, girofle et cannelle
1961 - Les deux morts de Quinquin la Flotte
1961 - Le vieux marin
1964 - Les pâtres de la nuit
1966 - Dona Flor et ses deux maris
1969 - La boutique aux miracles
1972 - Tereza Batista
1976 - Le chat et l'hirondelle
1977 - Tieta d'Agreste
1979 - La bataille du Petit Trianon
1986 - L'enfant du cacao
1986 - La balle et le footballeur
1984 - Tocaia Grande
1988 - Yansan des orages
1990 - Les terres du bout du monde
1991 - La découverte de l'Amérique par les Turcs
1992 - Navigation de cabotage, notes pour des mémoires que je n'écrirai jamais
 
 
 
 

 
- Bahia de tous les saints
- Dona Flor et ses Deux Maris
- Navigation de cabotage
 
 
 
Bahia de Tous les Saints
article d'Albert Camus (Alger Républicain, 9 avril 1939)
 
Un livre magnifique et étourdissant. S'il est vrai que le roman est avant tout action, celui-ci est un modèle du genre. Et l'on y lit clairement ce que peut avoir de fécond une certaine barbarie librement consentie. Il peut être instructif de lire Bahia de Tous les Saints en même temps, par exemple, que le dernier roman de Giraudoux, Choix des Elus. Car ce dernier figure assez exactement une certaine tradition de notre littérature actuelle, qui s'est spécialisée dans le genre "produit supérieur de la civilisation". A cet égard, la comparaison avec Amado est décisive.
 
Peu de livres s'éloignent autant des jeux gratuits de l'intelligence. J'y vois au contraire une utilisation émouvante des thèmes feuilletonesques, un abandon à la vie dans ce qu'elle a d'excessif et de démesuré. De même que la nature ne craint pas, à l'occasion, le genre "carte postale", de même les situations humaines sont souvent conventionnelles. Et une situation conventionnelle bien sentie, c'est le propre des grandes oeuvres. Dans une grande capitale ouverte sur la mer, Antonio Balduino, nègre, pauvre et illettré fait l'expérience de la liberté. Eprouver la liberté, c'est d'abord se révolter. Le sujet du roman, s'il en a un, c'est le lutte contre les servitudes d'un nègre, d'un miséreux et d'un illettré, et cette exigence de liberté qu'il sent en lui. C'est la quête passionnée d'un être élémentaire à la recherche d'une révolte authentique.
 
C'est une révolte qui fait du nègre un boxeur, et un boxeur triomphant. C'est une révolte qui pousse le misérable à refuser tout travail organisé et à vivre splendidement dans les joies de la chair. Boire, danser, aimer des mulâtresses, le soir, devant la mer, autant de richesses inaliénables, conquises à force de virilité. Et c'est encore une révolte, mais celle-là plus subtile et née dans le profond du coeur qui pousse le nègre ignorant à chanter sur sa guitare et à composer d'étonnantes chansons populaires.
 
Mais toutes ces révoltes mêlées ne font pas une âme confiante. Si Antonio Balduino vit de toutes ses forces, il n'en est pas pour autant satisfait. Qu'une grève arrive, il se jettera tout entier dans le mouvement. Et il reconnaît alors que la seule révolte valable et la seule satisfaisante, c'est la révolution. C'est du moins la conclusion de l'auteur. Je ne sais pas si elle est vraie, mais ce qui est psychologiquement vrai, c'est que le héros d'Amado rencontre alors le sens d'une fraternité qui le délivre de la solitude. Et il est dans la nature de cet être instinctif de s'en satisfaire absolument.
 
Au reste, qu'on ne s'y trompe pas. Il n'est pas question d'idéologie dans un roman où toute l'importance est donnée à la vie, c'est-à-dire à un ensemble de gestes et de cris, à une certaine ordonnance d'élans et de désirs, à un équilibre du oui et du non et à un mouvement passionné qui ne s'accompagne d'aucun commentaire. On n'y discute pas sur l'amour. On s'y suffit d'aimer et avec toute la chair. On n'y rencontre pas le mot de fraternité, mais des mains de nègres et des mains de blancs (pas beaucoup) qui se serrent. Et le livre tout entier est écrit comme une suite de cris ou de mélopées, d'avances et de retours. Rien n'y est indifférent. Tout y est émouvant. Encore une fois, les romanciers américains nous font sentir le vide et l'artifice de notre littérature romanesque.
 
Un dernier mot: Jorge Amado avait 23 ans lorsqu'il publia ce livre. Il a été expulsé du Brésil pour l'avoir vécu avant de l'avoir écrit.
 
 
 
Dona Flor et ses Deux Maris
 
Belle, sensuelle, professeur émérite d'art culinaire, Dona Flor a épousé Vadinho, vaurien, joueur, et grand séducteur devant l'Eternel. On la plaint... Mais voici qu'en plein Carnaval, alors qu'il danse la samba, costumé en Bahianaise, Vadinho meurt.
 
Dona Flor se consolera en épousant le docteur Theodoro Madureira, pharmacien de son état, qui, s'il lui offre une bienveillante sécurité, n'en a pas pour autant le tempérament de feu de Vadinho. La vie s'écoule, paisible, légèrement ennuyeuse, jusqu'au jour... Jusqu'au jour où Dona Flor trouve Vadinho, nu, étendu sur le lit conjugal. Invisible à tous sauf à elle, il s'est réincarné et entend bien jouir de ses droits d'époux. Dona Flor s'en arrangera...
 
Chronique gourmande et musicale de Bahia, terre du dieu Xangô, des danses, du candomblé et de la cachaça, ponctuée par les recettes de l'Ecole Culinaire Saveur et Art, Dona Flor et ses Deux Maris dépasse l'«histoire morale, histoire d'amour» de Dona Flor pour devenir, ainsi que l'écrit lui-même Jorge Amado «La terrible bataille entre l'Esprit et la Matière, contée par Jorge Amado, écrivain établi dans le quartier de Rio Vermelho, dans la ville de Salvador de Bahia de tous les saints, aux alentours du Largo de Sant'Ana, où demeure Yemanjá, déesse des eaux.»
 
Dona Flor et ses Deux Maris a fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 1978, par Bruno Barreto, avec Sonia Braga dans le rôle de Dona Flor.
 
Pour retrouver les recettes de Dona Flor...
 
 
 
Navigation de Cabotage
 
Le sous-titre "Notes pour des Mémoires que je n'écrirai jamais" donne d'emblée une clé de ce livre de souvenirs de Jorge Amado qui avait refusé jusqu'en 1992 d'écrire son autobiographie: Les choses que j'ai vécues, je ne les renie pas. Si j'écrivais mes Mémoires, je perdrais des amis de toute ma vie. J'ai des amis très fraternels qui ne pensent pas comme moi; et en littérature, c'est la même chose. Il y a les livres que j'aime et ceux que j'admire; je peux admirer un livre sans l'aimer. Je peux aimer un ami même si je ne suis pas d'accord avec lui. (Entretien au Monde, 1980)
 
L'amitié est une constante dans la vie de Jorge Amado qui accepte, dans ce livre, de se raconter, mais à sa manière, en cabotant d'un port à l'autre sans souci de chronologie. Et à toutes les escales, ce sont les amis que l'on retrouve; depuis les amis de l'enfance à Bahia, à l'internat des Jésuites puis à l'université de Rio, toute une grande génération: Vinicius de Moraes, Carlo Lacerda futur gouverneur de Rio, les peintres Calasans Neto et Carybé... Plus tard viennent les compagnons de sa vie errante d'exilé: Pablo Neruda, Ilya Ehrenbourg, Anna Seghers, Sartre enfin, et Georges Moustaki.
 
Il ne faut pas essayer de ranger ce que Jorge Amado a si soigneusement dérangé, et se contenter de rester chaviré devant une telle santé, une telle passion pour ce qui fait le sel de sa vie, les amis, les femmes, l'engagement politique: J'ai lutté pour la bonne cause, celle des hommes et de la grandeur, celle du pain et de la liberté, je me suis battu contre les préjugés, j'ai osé les pratiques condamnées, j'ai parcouru les chemins prohibés, j'ai été l'opposé, le non, je me suis consumé, j'ai pleuré et j'ai ri, j'ai souffert, j'ai aimé, je me suis diverti.
 
 
 
 

 
- Portrait de Jorge Amado par Oswald de Andrade
- Ecole Culinaire Saveur et Art, ou les recettes de Dona Flor
 
 
 
 

 
- Jorge Amado e Paraíso, une étude de Mario Vargas Llosa (en portugais)
 
- Textes de Jorge Amado sur le Jornal de Poesia (en portugais)
 
- A propos du film tiré de Tieta d'Agreste (en anglais)
 
- Etude complète sur la littérature brésilienne (en français)
 
- Bituca, sur la musique brésilienne
 
- Paris-Brasil.com, "tout sur le Brésil à Paris"