![]() ![]() J'ai appris la mer comme ça. C'est comme ça que la littérature s'est mise à avoir un sens. Enfin celle qui est capable de nous raconter qu'il y a des mers dans lesquelles on ne pourra jamais se baigner, des ports où l'on pourra pas baiser de filles. Et des pays qui survivront à la connerie humaine. Né en 1945 à Marseille, fils d'un barman italien et d'une couturière espagnole, Jean-Claude Izzo vient de décrocher son CAP d'ajusteur-fraiseur-tourneur lorsqu'il est appelé pour effectuer son service militaire - service militaire durant lequel il fait une grève de la faim d'un mois, puis est envoyé en bataillon disciplinaire à Djibouti. De retour en France à la fin de son service, il s'inscrit au PCF, milite dans un mouvement pacifiste, devient journaliste, puis rédacteur en chef de La Marseillaise. En 1978, après la rupture de l'Union de la Gauche, il coupe tous les ponts: divorce, quitte son journal, rend sa carte du Parti. Après quelques années de galère, il renoue avec le journalisme, tout d'abord pour le mensuel Viva, puis pour la revue Gulliver après avoir rencontré Michel Le Bris. Avec ce dernier, il s'occupe du Festival "Etonnants Voyageurs" de Saint Malo. Il commence à écrire des poèmes à la fin des années soixante. Quelques livres sont édités - qui ne trouvent pas ou peu le public. C'est en 1995, à cinquante ans, qu'il fait véritablement son "entrée en littérature" avec Total Kheops, une série noire sur fond de cités marseillaises dont le titre est emprunté à un morceau du groupe IAM. Succès immédiat et impressionnant. Il sera suivi par Chourmo et Solea qui reprennent les aventures de l'ex-flic Fabio Montale. Viendront très vite des nouvelles, Vivre fatigue, et deux autres romans, Les Marins Perdus, histoire de marins retenus à quai par un armateur sans mémoire ni scrupule, et Le Soleil des Mourants. Avec - toujours - le public au rendez-vous. Izzo lui-même ne sait pas bien pourquoi, dès Total Kheops, il a battu à plate couture tous les auteurs vivants de la Série Noire. Ses héros, à l'instar de Fabio Montale, portent en eux l'amour blessé des déçus de l'avenir. Ils noient leurs illusions perdues dans le Lagavullin, les bons livres, la bonne bouffe (que celui qui n'a pas faim en lisant certaines scènes de Solea...) et la bonne musique, de Coltrane à Lili Boniche, en passant par le Massilia Sound System. L'écriture d'Izzo est excessive comme eux, généreuse, sensuelle et triste, ouverte à toutes les tragédies et à toutes les beautés. Mélange pessimiste et jouissif qui fait d'Izzo l'écrivain dont on offre les livres à ceux que l'on aime. Engagé (pas un salon du livre antifasciste sans lui), révolté (il dit que le communisme n'est plus possible, mais le sort des vaincus le désespère), Izzo se défend pourtant d'écrire des livres militants. Juste quelqu'un de bien. Reçu par un jury de lycéens qui l'a élu auteur de l'année, il leur raconte son CAP de tourneur, et en profite pour parler de Camus et de poésie. Affaibli par un cancer qui le laisse provisoirement rescapé, il vient débattre au salon du livre de Martigues, écrit quelques nouvelles déchirantes (Vivre fatigue), termine Le soleil des mourants et songe déjà à écrire un roman d'aventure qui aurait le Laos pour cadre. Quelques jours avant sa mort, le Global Mariner, armé par le syndicat international des marins, accostait à Marseille pour sa croisière mondiale contre les pavillons de complaisance et pour mener campagne en faveur des "marins perdus" qu'on oublie dans des cargos rouillés. Abdul, Diamantis et Nedim ont dû penser que c'était une belle coïncidence. ![]() 1970 - Poèmes à haute voix (P.J. Oswald) 1972 - Terres de feu (P.J. Oswald) 1974 - Etat de veille (P.J. Oswald) 1975 - Braises,brasiers,brûlures (poèmes illustrés par E. Damofli) 1975 - Passage de femme (Guy Chambelland) 1976 - Le réel au plus vif (Guy Chambelland) 1978 - Clovis Hughes, un rouge du Midi (J.Laffitte) 1995 - Total Kheops (Gallimard, Série Noire) 1996 - Chourmo (Gallimard, Série Noire) 1997 - Loin de tous rivages (Ed. du Ricochet) 1997 - Les marins perdus (Flammarion) 1997 - 13 rue Saltalalacchia (Ed. du Ricochet) 1998 - Vivre fatigue (Librio) 1998 - Solea (Gallimard, Série Noire) 1999 - L'Aride des jours (Ed. du Ricochet) 1999 - Le soleil des mourants (Flammarion) ![]() - Chourmo - chronique sur le Réseau des Marseillais - Solea - Le soleil des mourants Solea A Marseille, ville que l'on ne peut comprendre "si l'on est indifférent à sa lumière", Fabio Montale se confronte aux menaces pesant sur lui et sur ceux qu'il aime. Après Total Khéops et Chourmo, Jean-Claude Izzo clôt ici sa trilogie consacrée à Marseille et à Fabio Montale, l'ex-flic gourmet et gauchiste qui évoque le Pepe Carvalho de Montalban. Solea ou une plongée sans retour dans le Marseille du milieu, du FN, des trafics et de la réalité mortifère, avec, pour respirer un peu, les cabanons des Goudes, quelques gorgées de Lagavulin, la musique de Coltrane ou de Lili Boniche, et le "pointu", la petite barque de pêche. Au delà de l'évocation crue d'un nouvel ordre mondial dominé par le crime organisé, Izzo dresse la tragédie d'un homme marchant sur les cendres de son passé, errant, survivant, jusqu'au bout du voyage... A propos de Solea, Jean-Claude Izzo déclarait à la revue Regards: "J'ai écrit le premier sans savoir que j'allais en écrire un deuxième. En revanche, je savais que je n'en écrirais pas cinquante. En entamant Solea, je prévoyais d'en finir avec Fabio Montale (...) Il y a un peu de moi en lui évidemment. Des choses personnelles, des valeurs: le plaisir de manger, ou de boire du bon vin, par exemple. Mais j'ai horreur de la pêche, par contre... Je n'ai jamais été flic. Tous les personnages sont inventés. Mais inspirés d'amis... Le seul vrai, c'est Hassan, le patron du "Bar des Maraîchers". Et les jeunes, c'est mon fils et sa bande de copains. Difficile d'analyser mon succès. Je ne pense pas être un écrivain consensuel. Il y a un certain nombre de gens qui ne me liront pas... Je ne fais pas de concessions, ni dans le fond, ni dans la forme. Je crois que les lecteurs se retrouvent dans le personnage de Fabio Montale, et dans ce que disent mes romans: y compris les problèmes de couple, l'amitié (...) On me dit souvent que c'est noir et pessimiste, mais le plus beau compliment que l'on me fait régulièrement, c'est dire que, lorsqu'on referme Solea, on a une putain d'envie de vivre! Je suis touché, car c'est la sensation que ça me fait quand je lis Jim Harrison (...) Oui, comme Montale, je suis pessimiste. L'avenir est désespéré. Mais c'est pas moi qui suis désespéré, c'est le monde... Je dis qu'on peut résister, transformer, améliorer, mais de toute façon on est coincé (...) Tout ce que j'écris sur les implications de la mafia dans la région PACA est vrai. Mon passé de journaliste doit y être pour quelque chose (...) Ecrire des polars n'est pas une autre façon de militer. C'est juste une manière de faire passer mes doutes, mes angoisses, mes bonheurs, mes plaisirs. C'est une manière de partager." Le soleil des mourants (Steven Barris, paru.com) "Entre le chagrin et le néant, je choisis le chagrin." Cette phrase de Faulkner pourrait très bien figurer en exergue du Soleil des Mourants, le dernier roman de Jean-Claude Izzo, tant le monde qu'il dépeint est sombre, plombé par le désespoir. C'est qu'ici-bas, les clochards ne sont pas célestes mais se meurent de froid dans l'indifférence d'un quai de métro parisien. Banal fait divers qui précipite le départ de Rico, en lui faisant entrevoir dans la mort de son compagnon d'errance l'annonce de sa propre fin. Direction Marseille donc, la ville de ses premières amours. S'ensuit alors l'itinéraire d'un être en décomposition, dont les souvenirs refont surface à mesure qu'il s'enfonce dans la déchéance, l'alcool, et bascule hors du temps. Sur sa route l'accompagnera Dédé, un SDF sans foi ni loi, confident de beuverie. D'autres êtres en perdition qui se raccrochent à des bouées de secours croiseront sa route. Sur un sujet assez rebattu, Jean-Claude Izzo, dans un style cru non dénué de poésie, sait à merveille retranscrire l'atemporalité du monde des exclus. Le texte lui-même opère une sorte de déconstruction du temps, où présent et passé se télescopent pour n'être plus qu'amertume et regret, ce bonheur entr'aperçu l'espace d'un instant. Des êtres comme en transit hantent des lieux de passage comme le métro, les gares, les petits hôtels. A cet égard, le récit s'orchestre comme une tragédie grecque où l'erreur commise par le héros est une parole de désespoir éthylique qui ne restera pas sans écho. En ce sens, ce roman est un peu la généalogie d'un fait divers. Un travail journalistico-poétique, qui témoigne du calvaire des mourants. Véritable "littérateur d'excavation", Jean-Claude Izzo drague ici les blessures les plus profondes de l'humain. Mais toujours son écriture de journaliste d'investigation exsude-t-elle de la vie. Témoignant ainsi que si les exclus de la vie se "trimballent avec leurs vieilles peaux" et ne sont "plus que des emballages vides", ils n'en sont pas moins vivants. ![]() - Faux printemps (nouvelle) - Chien de nuit (nouvelle) - Entretien avec Jean-Claude Izzo - Marseille, la lumière et la mer (extrait de l'anthologie "Méditerranées") - Article de Jean-Claude Izzo pour Ras l'Front - Portrait de Jean-Claude Izzo, un tableau de Jean-Jacques Surian ![]() - Le soleil s'est éteint pour Izzo (Libération) - Entre tragédie et imaginaire (dossier Chronicart) - Izzo: Marseille la non provençale (Nice Matin) - Etonnants Voyageurs, le site du festival créé par Michel Le Bris - Hommage à Jean-Claude Izzo: portrait et bibliographie (avril 2000) - Chronique de Marseille, sur la très belle page de Jean-Jacques Surian |
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