Quand l'oncle Armand Devint serpent Il ignora ce changement. Comme personne ne le lui a dit Il s'en va comme ça dans la vie. Mervyn Peake, fils d'un médecin missionnaire, naît en 1911 à Kuling, en Chine. Il ne revient en Angleterre qu'à l'âge de 11 ans. Particulièrement doué pour le dessin, il est admis en 1930 à la Royal Academy School où il travaille pendant trois ans. En 1934, il se joint à un groupe d'artistes dans la petite île de Sark, et participe à une exposition de peintures et de dessins. C'est à la suite de cela qu'on lui offre, en 1936, un poste de professeur à la Westminster School of Art. Ses dessins sont reproduits dans le London Mercury, le premier des journaux littéraires de l'époque, et les Leicester Galleries accueillent ses oeuvres pour l'exposition annuelle des "Artists of Fame and Promise". C'est durant la seconde guerre mondiale, où il officie comme instructeur pour la conduite de camions (dont il ignore tout) qu'il commence d'écrire Titus Groan, premier volet d'une future trilogie sur l'univers de Gormenghast, gigantesque forteresse labyrinthique régie par un rituel compliqué, et de ses habitants. Après la guerre, il travaille au ministère de l'Information, sans cesser de dessiner ni d'écrire. Titus Groan est publié en 1946, suscite l'enthousiasme et l'embarras des critiques, mais n'atteint pas le grand public. Inlassable, Mervyn Peake écrit une suite, Gormenghast, illustre L'Ile au trésor, les Contes de Grimm, et publie un recueil de poèmes, Les souffleurs de verre. S'y ajoutent, dans les années 50, le roman Mr Pye, de nombreux dessins, une pièce, Wit and Woe, d'autres illustrations. Atteint de la maladie de Parkinson, il termine en 1959 le troisième volet de la trilogie de Titus, Titus Alone. Alors que sa pièce, Wit and Woe, est retirée de l'affiche au bout de trois semaines, Mervyn Peake subit une grave dépression. On le dit, à 46 ans, atteint de sénilité précoce. Il se fait opérer, retrouve un certain calme, mais dès lors, cesse pratiquement le dessin et l'écriture. Il meurt en 1968. Quelques années plus tard, ses romans réédités par Penguin Books trouveront une large audience dans les pays anglo-saxons. Mervyn Peake est donc dessinateur avant d'être écrivain. L'écriture est visiblement pour lui le prolongement de son travail de peinture, la recherche d'une expression que ses images ne peuvent complètement lui donner. On retrouve, dans ses poèmes ou ses romans, la même vision rapide et sûre que dans ses croquis. Textes et dessins sont faits des mêmes traits discordants où se heurtent des expressions multiples, notations amplifiées du réel. L'humour, la grâce, le grotesque et même l'horreur y sont étroitement imbriqués. Le monde de Mervyn Peake est fait d'ombres, de crépuscules, de mélancolie, de grâce surnaturelle - et d'un humour impitoyable. Ce monde est situé à des années-lumière du nôtre, dans quelque imaginaire collectif et grinçant, mais est pourtant d'une saisissante réalité. Mervyn Peake nous parle d'un château immense, en ruine, mais sa fiction n'a rien de "gothique". Serait-on tenté de la qualifier ainsi que les personnages viendraient aussitôt brouiller les pistes d'une étiquette trop facile: le chef cuisinier, Lenflure, si gros que lorsqu'un bouton de sa tunique craque, il écrase une blatte sur le mur d'en face... les professeurs, Belaubois, Bâillamort, Opus Flume, Chaflanelle, Ronge, Rogne... la comtesse Gertrude à la coiffure architecturale abritant des oiseaux... Hors de l'enceinte de Gormenghast vit, dans des huttes de boue, un peuple d'artistes, les brillants sculpteurs, qui une fois l'an sont admis à exposer leurs oeuvres dans le château. Ce peuple est voué à une étrange malédiction. Dès que se manifestent les premiers signes de déclin de la jeunesse, les traits de ces habitants se flétrissent et, en un seul jour, il ne reste plus que ruines sur leurs visages. Vieux avant l'âge, ils passent le reste de leur vie à sculpter dans le bois des formes dont la beauté et le mouvement saisissants expriment autant la nostalgie de la jeunesse que le miracle d'être encore là - même si ce là a l'odeur des ruines. Le destin de ces brillants sculpteurs ne peut que faire penser à Mervyn Peake, miné par la maladie, qui écrit pourtant ce vers: "To live at all is a miracle enough". Vivre est un miracle en soi. A l'enterrement de Peake, son biographe John Watney raconte que des assistants virent, à la sortie de l'église, deux mendiants assis sur un banc. Leurs visages étaient si étranges et leurs vêtements tellement en haillons qu'on eût dit qu'ils attendaient d'être dessinés par Mervyn Peake. Ils restèrent assis sans bouger pendant un moment, puis disparurent soudain. L'un des assistants dit plus tard: "Je suis certain qu'ils savaient et qu'ils sont venus de Gormenghast pour le service. Je pense qu'ils ont dû retourner en vitesse au château". Je fonds, je me liquéfie, docteur, Mon mouchoir est un vrai caveau, Les uns disent que c'est un rhume, docteur, Les autres une brume de cerveau. 1939 - Captain Slaughter drops anchor 1941 - Shapes and sounds 1944 - Rhymes without reason 1946 - Titus d'Enfer (Editions Phébus, 1998) 1946 - The craft of the lead pencil 1948 - Lettres d'un oncle perdu (Casterman, 1997) 1949 - Drawings by Mervyn Peake 1950 - The glassblowers 1950 - Gormenghast (Stock, 1977) 1953 - Mr Pye (Editions Joelle Losfeld, 1993) 1954 - Figures of speech 1959 - Titus Errant (Stock, 1979) 1962 - The rhyme of the flying bomb 1972 - A book of nonsense 1976 - Titus dans les ténèbres (Editions Joelle Losfeld, 1995) - Titus d'Enfer - Mr Pye - Lettres d'un oncle perdu Titus d'Enfer (extraits de la préface d'André Dhôtel) Les romans de Mervyn Peake demeurent au-delà de toute définition. Titus d'Enfer est un événement littéraire considérable. Une innocence, une lumière, une promesse inappréciable se dégagent de ses récits fantastiques, pourtant voués à des lieux hallucinants et habités par des personnages dont les passions et les coutumes obstinées apparaissent souvent intolérables, toujours angoissantes. Une parole neuve éclaire des amours, des misères et des folies qui ne sont pas sans parenté avec les égarements ou les rêves de nos vies ordinaires.[...] Le sujet de Titus d'Enfer est d'une grande simplicité. Dans le château de Gormenghast, aux proportions gigantesques, vit une noble famille. La seule occupation de ses membres consiste à accomplir des rites fixés par une tradition ancestrale, en dehors de quoi ils sont simplement livrés à des loisirs indéterminés. Naît un enfant, Titus, qui laisse la famille dans l'indifférence, si l'on met à part les cérémonies indispensables. C'est alors qu'un jeune apprenti réussit à s'échapper du fond des cuisines et, par ruse et intrigues, s'introduit dans l'entourage des seigneurs, puis imagine d'incendier la bibliothèque pour frapper à mort l'esprit du maître qui ne vit que grâce à ses livres.[...] Si, dès la parution de Titus Groan, les critiques anglais ont su remarquablement apprécier une exceptionnelle et rayonnante écriture, c'est en vain qu'ils s'évertuent à la rattacher à quelque genre. Gothique (vaguement barbare), dit-on souvent, ce qui faisait d'ailleurs sauter au plafond Mervyn Peake. Grostesque, épique, féerique. Voire même Rabelais, Moby Dick. Mais épithètes et références échouent absolument.[...] Qu'arrive-t-il donc dans l'histoire? Le plus souvent, les personnages sont dominés soit par leur vie étroite, soit par ce fantastique qui peut s'emparer d'eux tout entiers. Rien que leur constitution corporelle... Ce chef cuisinier est empêtré d'un corps énorme avec des pieds flasques comme des ventouses, et il ne sait trop comment le transporter de façon naturelle. Ce valet-intendant a une telle maigreur qu'à chaque pas l'articulation de ses genoux produit de singulières détonations. Maigres ou gras, les corps sont difficilement maîtrisés dans leurs proportions, et les embarras qu'ils créent deviennent fabuleux tout aussitôt. Il en est de même pour les esprits dont l'intelligence se révèle si vive ou à ce point obtuse que, de toute manière, elle impose aux personnages des paroles ou des actes qui débordent leur raison et les plonge encore dans le fantastique. Ainsi, leur monde devient, quoi qu'ils fassent, un autre monde. Quand la comtesse s'absente un jour, tous ses chats blancs montent en haut du château, et ils se perchent chacun sur une tourelle, regardant tous du même côté. Et c'est à peu près ainsi que finit le roman, par cette interrogation paisible et infinie qui s'adresse au monde inconnu et qu'a poursuivie Mervyn Peake en écrivant deux autres livres: Gormenghast et Titus Errant. Même il en projetait encore un autre, qu'il n'a pas eu la force de commencer, où il devait y avoir "des neiges, des montagnes, des îles, des rivières, des archipels, des monstres, des hypocrites, des anges, des démons, des mendiants, des vagabonds"... Nous ne savons pas, mais en lisant Mervyn Peake, il semble toujours que nous attendions l'aurore. Titus d'Enfer est édité chez Phébus. Mr Pye ou l'histoire d'un homme trop bon pour son propre bien. Quand l'histoire commence, Mr Pye arrive sur l'île de Sark, au sud de l'Angleterre. On ne sait rien de lui, sinon qu'il s'attelle aussitôt à la lourde tâche d'apporter amour, paix et vertu aux autochtones. Il commence à réussir quand... Dieu (que Mr Pye appelle "Notre Grand Copain") approuvant apparemment les activités de Mr Pye, décide de lui octroyer des ailes. Mr Pye est horrifié et consterné: ses chances de réussir à faire des Sarkese des parangons de vertu dépendent entièrement de sa capacité à établir avec eux des relations simplement humaines. Après s'être assuré auprès d'éminents spécialistes que son cas n'est ni médicalement explicable, ni curable, il décide de mettre en place un programme de péché, tout en cachant ces ailes qui poussent fâcheusement dans son dos. Le programme fonctionne plutôt bien - jusqu'à ce que quelque chose commence à pousser sur son front... Mr Pye est édité chez Joelle Losfeld. Lettres d'un oncle perdu "Chialerie de chialerie! Me voilà en train d'écrire comme une femmelette alors que l'air arctique respire le danger et l'aventure. Et pas seulement ça, mais j'ai Jackson à décharger avant qu'il s'enroule pour dormir, et ma jambe-épée à polir." Des mots, des dessins, des ratures, des jurons... Parti à la recherche du mythique Lion Blanc, un vieil oncle perdu dans une région polaire écrit sa quête à son lointain neveu. Lettres d'un oncle perdu est édité chez Casterman Jeunesse. - Mervyn Peake dessinateur - Les Laveurs Gris (extrait de Titus d'Enfer) - Hyène (extrait de Titus dans les ténèbres) Langdon Jones, un site personnel intéressant, avec notamment une étude sur The rhyme of the flying bomb accompagnée de larges extraits. (en anglais) Peake Studies: journal universitaire consacré à Mervyn Peake (en anglais). Kemp Booksellers: maison d'édition anglaise spécialisée dans les oeuvres de Mervyn Peake (en anglais). |
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