Hubert Selby
Hubert Selby Jr

 
Je suis né en 1928, l'effondrement de la Bourse a eu lieu en 1929, et la Dépression a commencé la même année.
 
Né sous de mauvais augures, Hubert Selby? Gamin choyé de Brooklyn, il s'engage à 15 ans chez les Marines, imitant en cela un père alcoolique et adoré. Trois ans plus tard, une grave maladie pulmonaire fait de ce jeune homme athlétique un vieillard en sursis; hospitalisé durant plusieurs années, un poumon et des côtes en moins, condamné par la médecine, il doit le sursaut qui lui évite la folie et le désespoir à l'ultime avis négatif d'un médecin: On m'avait déclaré mort à quatre reprises. Mais, cette fois, je suis devenu obsédé par l'idée de faire quelque chose de ma vie avant d'en finir. Je connaissais l'alphabet. Peut-être bien que je pouvais devenir écrivain.
 
Il lui faut six ans pour achever Last Exit to Brooklyn, recueil de six histoires où se croisent des personnages désespérants et désespérés, poussés aux extrêmes: Harry Black qui vomit quand sa femme l'effleure la nuit, la prostituée Tralala, le travesti Georgette... Un monde gangrené par la violence, la folie, la terreur, d'une beauté et d'une humanité terrifiantes, qui force l'empathie, mais non la sympathie. Un monde sans sortie de secours, en quête d'une impossible rédemption. Last Exit to Brooklyn explose comme une bombe dès sa sortie en 1964, et rencontre à la fois un succès phénoménal, tant critique que public, et un rejet tout aussi violent (il sera interdit pour obscénité en Angleterre et dans plusieurs Etats américains).
 
Les romans suivants seront, si c'est possible, encore plus forts, plus dévastateurs dans leur exploration de l'angoisse et de la violence, si noirs que la critique américaine invente pour Selby le terme "sordidisme".
 
De Last Exit en 1964 à Retour à Brooklyn en 1978, quatre Harry hantent les romans de Selby. Le Harry de La Geôle est emprisonné pour viol - horrible avatar du Joseph K du Procès de Kafka, dont on ne sait jamais s'il est véritablement prisonnier, ou si c'est le prisonnier mental archétypique, soliloquant des fantasmes d'une cruauté inimaginable. Le Harry suivant, Le Démon, "n'encule pas n'importe qui. Uniquement des femmes. Des femmes mariées; avec elles, on a moins d'emmerdements", jette des inconnus sous les roues du métro et assassine le Pape à coups de couteau dans le bas-ventre, dans une apothéose de délire diabolique. Le dernier de la lignée, le Harry de Retour à Brooklyn, se drogue pendant trois-cents pages de folie solitaire et finit, amputé d'un bras, en prison.
 
Quatre livres, de 1964 à 1978, dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils dérangent, bouleversent, sont essentiels, et semblent porter leur malédiction en eux: passé le succès explosif de Last Exit, tous les livres de Selby ont connu l'échec.
 
Avec Chanson de la Neige Silencieuse en 1983, récit déchirant et magnifique d'une dépression nerveuse, Selby semble changer. Changement confirmé avec Le Saule, sorti en 1999. La noirceur est toujours là, et la violence, le style toujours aussi cru, mais maintenant, il existe une sortie; si les premiers livres de Selby explorent la pathologie, le "problème" sous tous les angles possibles, ses derniers parlent de solutions et de moyens d'y parvenir. Au moment de la publication de Last Exit, alors qu'on lui demandait de décrire son livre, Selby répondait simplement: les horreurs d'une vie sans amour. Dans ses derniers récits, l'amour est présent, sans être forcément l'amour auquel on pense généralement.
 
Apaisé, Hubert Selby qui n'a pu relire La Geôle durant 12 ans tant son propre livre le perturbait? Evolution d'un survivant, plutôt. Il vit avec son fils à Los Angeles. Il a des projets. Il vient de travailler avec un jeune réalisateur danois, écrit des nouvelles. Le succès récent de Le Saule en Angleterre et en France lui permettra peut-être de vivre autrement que grâce à sa pension...
 
 
La page Selby sur Beat Whisky et Poésie